de mes cendres (alekseï)

Le bruit des longs ongles vernis qui tapotent inlassablement sur le bureau vaut à Aura un regard noir de la part de Mitch, qui farfouille à quelques mètres de là dans sa caisse à outil. Elle se demande s'il râle juste par habitude. Elle doute franchement que sous le boucan de la radio qui résonne dans tout le garage, et le bruit du moteur de la voiture sur laquelle il travaille actuellement, il l'entende vraiment. La brune se contente de claquer la porte du bureau avec son pied, histoire d'avoir la paix, et de pouvoir se concentrer sur sa conversation téléphonique. Si son pèresavait que ce coup de téléphone n'avait, en réalité rien à voir avec le garage, il la dégagerait probablement à coup de pied au cul. Je sais bien Misha, elle répond à l'Ukrainien en se prenant la tête entre les mains. Cette journée lui colle vraiment la migraine, et elle constate avec désolation que, si le soleil n'est pas très loin de se coucher, pour Aura, tout n'fait que commencer. Je m'en occupe, elle affirme avant de raccrocher. Elle assure, elle rassure, c'est c'qu'elle fait de mieux. C'est un peu son rôle dans la meute, surtout ces derniers temps, ou plus rien ne semble facile. Pourtant, dès qu'elle arbore un ton doux et confiant, on lui donnerait le bon dieu sans confession. Ou p'têtre bien que le reste du groupe se voile la face, parce que c'est plus facile de se dire qu'en un battement de cil, Aura peut tout régler, plutôt que d'admettre que tout est en train de s'effondrer. Mais tant pis, la brune accepte sa destinée, elle a l'habitude d'être celle que l'on envoie au bûcher. Elle réunit ses affaires, attrape son sac à main, et sort du bureau en claquant une nouvelle fois la porte. J'y vais,elle annonce à Mitch qui lève la tête de son moteur pour lui accorder un regard curieux. Faut dire qu'elle ne quitte jamais les lieux, mais on ne lui pose pas trop de question. Rentre bien hija, qu'il lui fait. Elle répond par un sourire, et monte dans sa caisse sans préciser que ce n'est pas chez elle qu'elle se rend. Non, mais c'est presque à l'abattoir qu'elle court.

Sur la route, elle s'arrête à la supérette. Aura se dit que si elle arrive les mains pleines de victuailles - et de bouteilles, entre autre, le regard noir qu'elle se mangera à son arrivée ne durera pas plus d'une quinzaine de secondes. Ou de minutes. Faut dire que depuis le temps, elle est habituée à la colère, à la rancœur, à la rage de Salenko, tant que ce n'est pas contre elle, qu'elle est dirigée. Et Dieu sait que l'grand méchant loup, il en a accumulé de la colère et de la frustration. Assez pour balayer le paysage d'un revers de la main s'il le voulait, s'il se bougeait. Or, le problème, il était bien là : cette fois, Alekseï était blessé, et pas que dans son orgueil, pas que dans sa fierté. Sa chair, de la balle, elle en était resté imprégné, si bien qu'il se retrouvait dans un fauteuil, enfermé. Et depuis lors, il était incapable de faire autre chose que de grogner. C'était pas la brune qui pouvait vraiment l'en blâmer, mais cette fois, elle avait bien comprit, d'après l'appel de Misha, qu'elle avait été élue par le peuple pour forcer le loup, à arrêter d'hiberner. Dans le temps, il lui semblait qu'on appelait cela s'faire sacrifier. Après tout, Aura, elle a pas grand chose à en redire, elle sait qu'elle est la mieux placée - ou plutôt, la moins pire.
Le bruit de ses talons résonne dans c'couloir vide qu'elle a déjà bien souvent traverser. Elle ne prend pas la peine de sonner et d'attendre, parce qu'elle sait que si elle lui laisse le choix, elle restera sur le pas de la porte. Elle l'sait, parce que si elle était lui, c'est ce qu'elle ferait, et sans hésiter qui plus est. Du coup, à la place, elle s'contente de frapper, et d'ouvrir sans attendre son reste. La brune grimace, mais décide de faire fît de l'odeur de cigarette froide et de joints, ainsi que du bordel et des cadavres de bouteilles - entre autre - qui jonche le sol. Elle met une main d'vant ses yeux, et referme la porte derrière elle. T'as pas intérêt à être à poil, elle déclare en balançant son sac par terre. Une fois qu'elle est sûre que la voie est libre, elle jette un coup d’œil à Aleskeï. En gage de paix, Aura sort de la poche qu'elle tient dans sa main une bouteille de whisky, l'préféré de son ami. J'espère que t'as faim, j'ai emmené le repas. Une diversion comme une autre, avant le début des hostilités. Pas de doute, dans une autre vie, la brune avait dû en signer, des traités d'paix.

Aura parle bien. Elle trouve toujours une manière de dire les choses. Au-delà de sa capacité à analyser, à observer, c'est son habilité à négocier et à trouver les mots qui lui a valut sa place, son rôle dans la Meute. Pas seulement celui de recruteuse, mais celui de belle-parleuse, de manipulatrice. Temporairement celui d'bras droit de Misha, en attendant que tout se remette à fonctionner normalement. La brune à conscience qu'elle n'a ni le tempérament d'Alekseï, ni l'intelligence de Misha, ni la grande gueule de Dmitry. Il n'empêche qu'en période de crise, elle est la seule à garder son sang-froid. C'est probablement pour ça que Aura, c'est toujours celle qu'au front on envoie. Faut dire ce qui est, elle aime vraiment pas voir la situation dégénérer. Hors, ces derniers temps, elle s'est assez mêlés des affaires du groupe pour savoir que si elle ne veut pas que le navire coule, elle va devoir se jeter à l'eau.
La brune n'est pas accueillie par une grande accolade amicale, ni même par un sourire, mais elle n'en fait pas fi. Elle ne s'attendait pas à autre choses, et surtout pas depuis que le grand méchant loup rumine dans sa tanière. Ayant grandit et gagné sa place dans cet univers masculin, auprès des frères mafieux, la vipère s'est habitué à la colère, la rancœur, la violence. Pire que ça, elle en a fait son moteur, parce que c'est plus facile de se nourrir de la haine des autres que de se laisser ronger par la sienne. C'est pour ça qu'elle ne se laisse pas démonter par le ton légèrement agressif de son ami. J'sais pas, tu pourrais encore être en train de te regarder l'nombril, elle répond sur le même ton, mais avec un sourire en coin. Ou autre chose. Ça me regarde pas. En la reconnaissant, Shadow se lève vivement de son panier et vient remuer sa queue aux pieds d'Aura, qui se baisse un instant à son niveau pour lui grattouiller le crâne du bout des ongles. La brune aime bien cette bestiole. Elle lui donnerait même l'envie d'en avoir un à elle. Mais entre le garage et la Meute, elle voit si peu son appartement que même le cactus qui traîne dans le coin de son salon a finit par crever de désespoir. Les verres sont dans la cuisine. Fais comme chez toi. Comme prévu, le loup arrête de sortir les crocs et se radoucit à la vue d'une bonne bouteille. Aura sait pourtant qu'elle a fait le plus facile, et que la soirée ne fait que commencer.

Abandonnant les beaux yeux de Shadow, elle se redresse et, après un coup d’œil au bordel qui sert de décor à la scène qui va suivre, se dirige vers la cuisine. Depuis le temps, elle connaît l'endroit comme sa poche. Aleks aussi, la brune le connaît par cœur. Elle passe son temps à dire que Dmitry est un morveux trop sûr de lui, et une drôle d'amitié la lie à Misha, peut-être parce qu'au fond, ils se ressemblent. Pourtant, avec l'aîné des Salenko, les choses étaient différentes. Ils étaient plus proche d'une famille que de réels amis. Parfois, Aura se rendait compte de la chance qu'elle avait. Elle était passée d'orpheline sans amour propre à une gamine choyée et bien entourée en seulement l'espace d'un an. Mais comme tout ce qui avait un rapport, de près ou de loin avec son passé, jamais la brune ne le mentionnait. Elle rince deux verres qui traînent dans l'évier, étant sûre de n'en trouver aucun de propre dans l'un des placards, et les pose, avec la bouteille sur la table basse. T'avais personne d'autre à voir ce soir ? Elle voit bien ce qu'il essaie de faire. Parler de tout, sauf des sujets qui importent vraiment. Fuir, c'est peut-être ce qu'il fait le mieux depuis son accident, et ce n'est pas elle qui pourrait l'en blâmer. Et me passer de ta bonne humeur quotidienne ? Tu rigoles ou quoi ? elle fait en s'asseyant sur le canapé, sur lequel il est déjà installé, ayant laissé son fauteuil roulant de côté. Il est vrai qu'Aura n'aurait pas craché sur une soirée reposante en solo. Celles-ci se faisaient rare ces derniers temps. Le destin en avait juste décidé autrement. D'un mouvement, la brune se débarrasse de ses talons, et se penche sur la table pour attraper la bouteille. En plus, c'était soit toi, soit un Misha au bord du gouffre,elle lâche nonchalamment en laissant le liquide ambré couler dans les deux verres. Niveau ambiance, c'est kif-kif. Elle lui tend son verre, en faisant en sorte de croiser son regard, signe que la subtilité et l'ironie était à présent finies. Rassures-moi, t'as conscience qu'il n'a absolument pas les épaules pour ça, pas vrai ? Honnête, son but n'est pas de rabaisser Misha, mais d'ouvrir les yeux à Aleksei.