Quand t’arrive dans l’entrepôt, ton coeur bat à une vitesse incroyable, l’impression qu’au moindre instant il va sortir de ton corps, dégringoler jusqu’à tes pieds, t’auras même pas eu le temps de parler à Misha que tu seras déjà mort. C’est peut-être le rail de coke que tu t’es tapé avant de venir qui te mets dans cet état. Il faut dire que pour faire preuve de courage, affronter le regard de ton aîné, t’as besoin de pas mal d’adrénaline.
C’est pas la bonne entente en ce moment avec Misha, tu le sens bizarre, vous ne vous parlez pas trop et quand vous vous voyez, il en sort pas des masses. La dernière fois, si tu te souviens bien, vous vous êtes prit la tête chez maman, parce qu’elle parlait pas, c’est de famille apparemment le manque de communication. Elle avait les larmes aux yeux alors que vous veniez dîner chez elle, tu sais ce que c’est de vivre avec une muette qui pleurs souvent, t’as pas supporté cette vision, t’as tapé du point sur la table par tes mots, tu lui as dit de se secouer, résultat, le repas il s’est écourté et vous êtes chacun parti de votre côté. Non, en ce moment on peut pas dire que soyez au top de votre complicité. Alors t’espère que ce que tu vas lui dire ça va vous réunir, comme avant. Comme quand vous étiez petits, qu’il te donnait des ordres stupides, comme de sauter de la fenêtre du premier étage de la maison, que tu suivais en plus de ça ! T’as fini avec le bras dans le plâtre et le corps dans la poubelle verte. Il a rigolé, il pleurait de rire le frangin, et toi tu boudais, sans montrer la douleur que t’éprouvait. Au moins, l’avantage de ton plâtre, y’a la voisine qui t’avait fait un joli petit coeur dessus.

Misha est dans son bureau de fortune quand tu arrives à la porte. Bien évidement t’as salué les mecs, et autres filles présentes, du coin de l’oeil t’as aperçu la Obradovic, tu roules tes billes vers le plafond. Alors elle, pire qu’une mouche autour de son bout de viande séchée !
Depuis qu’elle est entrée dans votre « club », dans votre gang, dans le crew de ton frère en gros, tu peux pas t’empêcher d’avoir cette impression qu’elle cherche à te pousser gentiment vers la porte de sortie. Ok t’as des casseroles qui ont mit à mal les Hellhounds, Ok t’es un peu maladroit sur les bords, mais elle pense sérieusement que tes frères te laisseront partir ? Tu l’as salue par la force des choses, parce que t’es poli, parce que t’as un poste à responsabilité maintenant et tu te dois de faire bonne figure !
Enfin, ce n’est pas pour elle que t’es là si tôt, c’est d’ailleurs pas dans tes habitudes de te pointer à l’entrepôt à une heure si matinale. Normalement à cette heure-ci tu décuves de ta soirée de la veille. Heureusement pour eux, t’es même pas sorti ! T’as jute envoyé un message à Victoria, ouais ton ex. Elle t’a pas répondu plus que ça, faut vraiment que tu tournes la page, au moins que t’essayes nan ? T’as envie d’essayer ? Non ?

« брат ! » (frère) Sans prendre le temps de frapper à sa porte, sans prendre le temps de savoir s’il est occupé, pour toi, il doit bien avoir une ou deux minutes à t’accorder. D’autant plus que c’est pour le bien de votre petite entreprise florissante. « J’ai un plan de ouf ! » Que tu continues de lui dire dans ta langue natale. Ils sont pas nombreux à comprendre votre dialecte, et ce mélange d’argot que tu associes à tes phrases, souvent ça ressemble à un charabia incompréhensible mais ils ont toujours réussi à te déchiffrer. Et en dernier, certaines oreilles pourraient traîner par là et prendre les devants, ça, tu ne veux pas, c’est ton idée, c’est à toi d’avoir la lumière pour une fois, autre que celle de tes maladresses. « De l’autre côté. » Pointant du doigt un horizon lointain, forcément tu parles des autres quartiers de la ville, les bobos, les hippies, les cultivés, et tout et tout. « Y’a masse de billets à prendre en vendant notre came ! » Et l’excitation qui te gagne un peu plus encore, tu tremblerais presque face à ce que t’es entrain de lui dire, en ukrainien, rappelons le ! « Les gosses là-bas. » En parlant des jeunes de ton âge, parce que tu te crois plus mature qu’eux. Tu te trompes. « Ils ont besoin de ça... » Tu imites ce geste que tu connais malheureusement à la perfection, et là, t’as l’impression que tu te prendrais bien un autre rail, rien que pour soulager ce geste qui te donne envie. « ...pour tenir, ils attendent que ça ! » Tu déballes pas tout, pas aussi facilement, t’attends déjà d’avoir son ressenti sur la chose, sur ce qu’il pense. Et intérieurement tu croises les doigts pour qu’il te dise que c’est une excellente idée. T’as déjà quelques petits repères venant de la nana que t’as baisé la dernière fois, elle t’a parlé de Yale et des résultats que certains veulent absolument avoir ! « J’te parle carrément d’un répertoire entier de clients là ! » Et tu finis par lui sourire, attendant sa réponse.

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Plein d’ambitions, c’est quelque chose qu’on peut pas te reprocher. Depuis ta sortie de prison t’essayes, et c’est peu de le dire, d’avoir une ligne de conduite plus discrète. Tu fais moins de vagues, sauf quand t’es en boîte de nuit, tu te prends la tête pour améliorer le business, peut-être que ton sens des priorités est à revoir au vue des derniers évènements, mais t’as le mérite de tenter des choses, de vouloir agrandir, élargir ton champ d’action, quitte à mettre au second plan les Strays et le terrain qu’ils gagnent au fur et à mesure. T’as débarqué dans l’entrepôt en conquérant, certains que ta trouvaille redorera un peu ton blason. C’pas facile d’être un Salenko. Portant le nom avec fierté, le buste gonflé, il faut avoir les épaules solides pour être l’un des frères. Ouais, ton nom il en fait trembler, il t’apporte certains privilèges que d’autres n’ont pas, mais encore faut-il être à la hauteur du patronyme, et ça, encore une fois, t’essayes.

Plein d’ambitions, le cœur qui bat à la chamade, certain qu’il va comprendre là ou tu veux en venir. Tu te tiens droit devant ton aîné, un sourire vainqueur se dessine sur tes lèvres. Certain, tu te mettrais ta main à couper qu’il accepte, que t’as dégoté THE affaire du siècle. Sortez la scie, coupez lui la main gauche, il te restera la droite pour t’atisquer. « Tu as une solution pour les Strays qui bouffent du terrain, d’ailleurs ? » Celle-là, tu t’y attendais, tes priorités et celles de Misha ne sont pas les mêmes, depuis bien longtemps. Tu te pinces les lèvres, tel un enfant sur le point de se faire disputer, et c’est ce qu’il se passe, même si son ton reste d’un calme agaçant. Bah quoi ? Tu préférerais qu’il t’engueule ? Tu aurais préféré. « Parce que j’vois pas l’intérêt d’aller s’étendre à l’extérieur si on n’est même pas capable de garder notre territoire. J’sais pas si t’étais au courant, d’ailleurs, puisque ce sont tes mecs qui m’appellent, quand les Strays piquent leur place. » Et ton coeur manque un battement. « Ils t’lèchent le cul. » Certains des gars ne voient qu’en toi un prétentieux, un p’tit con qui profite de son statut, là où d’autres te seront fidèles, parce qu’ils croient en toi. Qu’on te laisse du temps, trouver des repères, installer l’autorité. « Leur business tiendra pas longtemps. » Et t’es persuadé de ce que tu avances. Puis la came qu’ils vendent, elle est pas si bonne que ça. « C’pas Elijah qui... » Tu tentes d’expliquer. « Mais, admettons. T’as une solution pour blanchir les billets, aussi ? Parce que c’est pas la supérette du In-N-Out ou ton magasin de skates qui vont couvrir les revenus liés à cette bande de … gosses ? » Et en ce moment, le magasin il tourne au ralenti, pas de vente, pas d’achat, c’est un trompe l’oeil qui prend l’eau. « Tu tournes à quoi, pour dégoter des idées pareilles ? » Ok, l’idée était mauvaise. « J’ai le mérite d’être sur le terrain pendant q’t’es là, le cul sur son bureau ! » Accentuant l’adjectif, jaloux ? Juste l’histoire d’un gamin qui tente de retrouver sa place dans la fratrie. Mais le comptable dans l’histoire c’est lui ! Tant que t’as des billets dans les poches ça te va, t’as jamais vraiment comprit le fonctionnement d’une boîte, les arrivées d’argent, les comptes à tenir. Les épaules qui se lèvent, la voix qui, contrairement à celle de Misha monte, résonnant dans la pièce, prêt à en découdre avec l’hostilité de ton aîné. Tu l’avais pas vu venir.

D’un côté, lui sauter dans les bras, comme quand t’étais gosse, quand il rentrait à la maison, de l’autre côté, cette manie qu’il a de se rallier à la cause du cadet. Ça a toujours été comme ça, t’as toujours celui qu’on prenait pas au sérieux. « Alek ? » Et bizarrement, qu’il ne soit plus de la partie, ça te permettait d’opérer librement. « Misha a raison. Les Strays doivent être notre priorité. » Serrant la mâchoire, partagé entre la nouvelle qu’il soit de retour, la sensation de ne pas l’avoir vu depuis un millénaire au moins, et l’importance qu’il donne au comptable. T’avale ta salive mais elle a un goût amer, celle du lion que l’on met en cage. « C'est pas l'moment de s'éparpiller. » Et il s’approche un peu plus. Tu regardes, bien évidemment, la réaction de Misha, et tu plonges dans les souvenirs qui n’auraient jamais dû arriver, tu t’es éparpillé, tu as voulu la jouer en solitaire, encore une fois, il t’a sauvé la mise, il a encaissé pour toi.  « Alors ton idée à la con, j'veux plus en entendre parler. »
La gamin capricieux ressort, tu tournes le dos à tes aînés, boudeur et vexé du soutient qu’ils ne t’apportent pas, prêt à quitter les lieux et aller te saouler au bar, malgré l’heure matinale. Un pas devant l’autre. « Et tu comptes faire quoi toi ? » Parfois, vaudrait mieux que tu te taises ! « Non parce que jusqu’à présent mise à part donner le contrôle à un comptable incompétent t’fais pas grand-chose Alek ! » L’index qui se pointe tours à tours, vers l’un, et vers l’autre. « Vous parlez, mais vous faites pas grand-chose повія (putain) ! » Elle est belle la réunion de famille, vous n’avez jamais été aussi complice !

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Vous êtes clairement pas nés dans la bonne famille. Vous n’avez très certainement pas eut les meilleurs modèles à observer mais c’est ce qui faisait, ce qui fait et ce qui fera votre force. Depuis que vous êtes gosses vous vous serrez les coudes, les galères c’est ensemble que vous les surmonter. Et même si tout part en vrille, tu le sais au fond de toi, tu le sais trop bien, vous devez rester soudés, ça serait montrer signe de faiblesse que de vous prendre la tête devant les autres. « Je suis un comptable incompétent ? » C’est la colère qui t’a fait dire ce genre d’idioties, qui mieux que Misha pourrait avoir ce rôle ? Mec, toi t’y connais rien en chiffre, t’arrive même pas à gérer ton magasin de skate, et t’as dit ça, parce que tu te montres volontairement blessant face aux personnes que tu aimes. Un héritage paternel ? Ça au moins, vous êtes tous de la même branche, vous êtes pas doués pour montrer aux autres toute l’affection dont il mérite. Alors tu roules des yeux, non il est pas incompétent et toi, t’as été idiot de dire ça, parce que s’en lui, tu croulerais sous les dettes et ton petit business légal il n’aurait jamais ouvert !  « Mais si vous voulez faire mon taf pendant une semaine, Aleks ou toi, Dmi, allez-y. Faites-vous plaisir. » Autre provocation, tu l’as bien cherché ! Et même l’arrivée de l’aîné de la fratrie ne semble pas le calmer, au contraire.
Depuis peu vos relations se dégradent, peut-être plus avec Misha qu’avec Aleks que t’as toujours idolâtré, t’aurais suivi ses directives, si seulement il t’en avait fait part. Mais avec Misha, c’est pas facile d’être au milieu, et depuis… l’accident qui a paralysé l’aîné, c’est à peine si vous ne vous crachez pas à la figure quand l’occasion se présente, ces derniers temps t’as fait en sorte de l’éviter, mettant toute ta concentration et toute ton énergie dans ce business que tu penses florissant. « Parce que, au fond, si j’sers tant que ça à rien, je peux m’tirer. T’as raison, Dmi, hein. A part rester sur c’te chaise, j’fais rien. J’vais me prendre un job de comptable classique dans une boite classique, et juste voir de loin comment ça se déroule. Ça m’convient. » Et ça se passerait mal, vous le savez tous. « Assieds-toi et arrête de raconter de la merde. » T’étais prêt à partir, « Misha. » D’un ton lasse, la main levée vers lui, t’aimerais lui dire que t’es désolé mais ça, c’est pas dans vos habitudes, tu t’es éloigné du duo pensant que tu allais en finir, que tu allais bouder dans ton coin. « Et tu voudrais que j'fasse quoi exactement ? Que j'parade sur mon fauteuil devant les gars, comme une putain de miss America ?! » Tu baisses la tête. Sans réponse. « J'suis pas encore décérébré. J'sais encore réfléchir à défaut de pouvoir marcher. » Il a le don de tiquer là où ça va te faire mal. T’as jamais voulu qu’il en arrive là, que vous en arriviez tous là. « Mais t’es pas là Alek justement. T’es plus là. » Si ça ne tenait qu’à toi, t’aurai volontiers échangé ta place avec la sienne, « T’es parti, tu nous a laissé dans la merde ! » tu t’en veux et te le rappeler, de cette manière, ton cœur subit un tout nouveau coup dur. « On en est sérieusement rendu là ? » Sa dernière réplique, elle termine de te briser, jamais aucun de vous n’a voulu en arriver là. Tu sens cette lame d’acier venir découper avec plaisir ton palpitant. Vous étiez une famille, vous êtes une famille, rien qu’à voir vos tatouages ! Celui que t’arbore avec fierté sur son pectoral gauche. Vous en êtes alors arrivés là ? Il faut croire que oui.

« Elijah j'm'en charge. J'vais aller lui toucher deux-trois mots. En attendant personne le touche. » Alors que t’as presque les larmes au bord de tes paupières, tu fais le fort et renifle de manière nerveuse pour retenir le torrent que tu serais susceptible de lâcher, t’es le dernier de la fratrie, certainement le plus fragile. Aleks lui, il garde la tête droite, ne montrant aucun signe de faiblesse, alors que toi, au moindre obstacle, c’est presque si tu baissais les bras. « Et tu vas faire quoi ? » Dans ta langue natale. Loin de toi l’envie d’émettre des doutes mais Aleks, ce n’est plus le chef de gang que t’as connu. Chacun à votre manière vous avez changé, faisant ressortir le meilleur de vous, et bien trop souvent le pire, mais là, dans son fauteuil, il fait pas le poids. Et le p’tit, tu le connais assez pour savoir qu’il veut déjà ta peau, alors celle d’Aleks. « Il te tuerait s’il le pouvait. Il tuerait chacun de nous s’il le pouvait. » Et même si la règle veut qu’ici ça soit la loi du plus fort qui l’emporte, t’es pas prêt à voir l’un de tes frères six pieds sous terre. « Je vais aller voir mes dealers, je vais leurs dire d’être vigilants s’ils croisent l’un de ses gars. » Toujours vexé qu’ils préfèrent aller se plaindre à Misha plutôt qu’à toi, t’es bien décidé à montrer aux membres et plus spécialement aux deux personnes qui se tiennent devant toi que t’as la carrure pour assumer des responsabilités. « Mes frères. » Quoi qu’au vu de ce qu’il se passe, on pourrait s’en poser la question. « Laissez moi vous montrer que le business ne s’arrête pas aux portes de ce quartier. » Parce que t’en oublis pas ton objectif numéro un. Pas sûr que ça soit le bon moment. Dmitry…  

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