smells like trouble to me (dakota)

La soirée était bonne et, une fois n’est pas coutume, Dakota avait le sourire aux lèvres. Elle avait envoyé tous ses adversaires du soir au tapis, et même si ses poignets devenaient douloureux, elle était contente d’elle. Elle n’avait pas toujours été la bienvenue au Mosh Pit : raciste, misogyne et haineux de tout bord s’en était souvent donné à cœur joie. Mais au fil du temps, les abrutis s’étaient fait de plus en plus petits, et elle pouvait désormais passer des soirées entières sans en entendre un seul. Sans doute continuait-ils dans son dos, mais tous avaient compris qu’il valait mieux parier sur elle que contre elle.

Et ce soir, elle leur en avait donné pour leur argent. Ses combats étaient désormais terminé, et elle finissait la soirée en prenant une bière, entourée de quelques uns des habitués du Pit. Chacun y allait de sa petite remarque sur les combats à venir, du pronostic sportif aux rumeurs les plus folles. En sirotant la mauvaise bière de la cave, Dakota les écoutait en secouant la tête. Elle n’avait toujours pas la sensation d’être “chez elle” au Pit - pas comme Yancey pouvait l’être par exemple. Mais elle s’y sentait relativement bien, la plupart du temps, et ça lui suffisait. Certains soirs, quand son appartement minable lui apparaissait terriblement vide, le Mosh Pit avait presque des allures de foyer. Pour autant, elle y restait toujours sur ses gardes, méfiante. Dakota n’était pas exactement ouverte ou confiante par nature, et ce n’était pas quelque chose qui la dérangeait outre mesure. Sa force de caractère avait fait d’elle ce qu’elle était, et lui avait permis de tenir la route dans un monde aussi cruel que celui de Canaryville. Elle n’allait pas s’en plaindre.

Sa bière à la main et un sourire narquois aux lèvres, la jeune femme se figea brutalement en voyant apparaître une tête connue. Graziella Calderon. Mais qu’est-ce que sa voisine pouvait bien venir foutre ici ?! Personne n’avait moins sa place au Mosh Pit que cette diva décérébrée. Sidérée, la jeune femme vit Graziella avancer vers elle, son habituel air hautain plaqué sur le visage. “Flemming, qu’est-ce que tu...” Dakota n’eut pas l’occasion d’envoyer balader sa voisine que déjà, les sirènes caractéristiques de l’arrivée des flics se faisaient entendre. Mierda ! Les flics ne descendaient jamais au Pit. De manière générale, une fois la nuit tombée sur Canaryville, la plupart des types en uniformes se faisaient tout petit et attendait que ça passe. S’ils étaient au Pit ce soir, c’est que quelqu’un les avait rencardé sur la possibilité d’attraper un gros poisson. Vive comme l’éclair, Dakota balança sa bière dans un coin et se prépara à bondir en direction d’une sortie de secours, lorsque son regard tomba sur l’air transie de sa voisine. Graziella et les flics, présent au même moment au Mosh Pit ? La coïncidence était trop grosse. Sans plus y réfléchir, la jeune femme attrapa sa voisine par le poignet pour l’attirer à elle. “Reste pas plantée là comme une calabaza, je crois que t’as des choses à me dire Calderon !” Sans attendre les éventuelles protestations d’Ella, Dakota l'entraîna vers la sortie de secours, avant de faire volte-face au vu des cris qui émanaient de l’étage. Les flics les attendaient à la sortie du sous-sol, toute sortie étaient à exclure dans ces conditions. Graziella n’avait pas la tête d’une habituée du Pit, et si elle tombait sur un policier conciliant, elle avait une chance de s’en sortir. Mais Dakota, avec ses bandes encore aux mains et sa brassière de sport, aurait du mal à convaincre qui que ce soit qu’elle n’était venue que pour prier. Sans hésiter plus longtemps, la jeune femme fit volte-face en direction de l’arrière-salle qui servait de vestiaires aux combattants. Le temps que les flics embarquent le plus gros du public du Pit, elles avaient une chance de passer inaperçue ici. Ensuite, il faudrait aviser. Une fois la porte refermée derrière elle, Dakota fusilla du regard sa compagne d’infortune. “Maintenant tu restes là et tu la boucles Calderon.” Elle tendit l’oreille pour guetter l’arrivée des flics, mais tout semblait indiquer qu’ils étaient toujours postés aux sorties de la cave. “Alors Graziella, tu te balades avec une escorte de flics maintenant ? Les épilations payaient plus assez pour tes chaussures, alors tu te la joues balance ?” Dakota refusait de croire aux coïncidences de ce style. Grazielle était forcément responsable de la situations dans laquelle elles se trouvaient, et elle n’avait pas l’intention de la laisser s’en tirer comme ça.

Enfermée dans les vestiaires du Pit avec sa voisine, à attendre que les flics débarquent. C’était tout à fait l’image que Dakota se faisait de l’Enfer. Visiblement, elle avait offensé quelques divinités ce soir, et le Karma lui faisait payer. Les flics, au Mosh Pit, vraiment ? Comme si Canaryville ne regorgeait pas d’endroits bien plus dangereux qu’ici. Mais justement, la plupart de ces types-là ne se risquerait jamais à s’aventurer dans les ruelles mal-famées de la ville. le Pit en revanche n’était finalement qu’un repaire de tocards en tout genre, rien de bien méchant, mais de quoi remplir un carnet de contraventions. Bookmakers, combattants illégaux, parieurs, surement quelques pickpockets et autres dealers… Et dans le lot, peut-être même un ou deux gros Poissons, du genre que les flics cherchaient à coincer depuis un moment. Pour autant, Dakota refusait de croire qu’ils soient là par hasard ce soir, et la présence de Graziella entre les murs de la cave était une coïncidence un peu trop grosse pour elle. Si jamais cette pétasse avait balancé, Dakota lui ferait payer, et cher. « T’es sérieuse là ? Tu penses que je suis venue pour toi ? »  Peu de chance que ce soit le cas en effet, mais la brune n’excluait pas cette possibilité pour autant. Après tout, Graziella ne manquait pas d’imagination quand il s’agissait de lui pourrir la vie, et ce genre de petits coups perfides lui ressemblaient bien. « T’es obsédée par moi ma parole ! J’ai rien à voir avec ça. Mon mec vient ici presque tous les soirs, quel intérêt aurais-je à appeler les flics ? »  Dakota leva les yeux au ciel, excédée. Obsédée par Graziella, c’était la meilleure. Elle ne releva pas tout de suite cette histoire de mec, trop occupée à tendre l’oreille pour guetter une éventuelle arrivée des flics. A l’extérieur, elle entendait encore les cris et les jurons caractéristiques d’un coup de filet de la police, mais ils semblaient encore se cantonner à l’extérieur de la cave. Bon point pour elles. “C’est ça querida, ma vie tourne autour de toi, comme à peu près chaque personne que tu rencontres j’imagine.”

La simple présence de Graziella en ces lieux l’agaçait, mais entendre le son de sa voix avait le don de l’excéder. Pourtant, la jeune femme s’efforçait de penser à toute vitesse. Elle n’avait aucunement l’intention de moisir ici. Une partie de ses revenus étaient issus du Mosh Pit ou de son association avec les Hounds. Dans les deux cas, les flics pouvaient contrarier sérieusement ses plans, et elle n’allait pas leur laisser une chance d’y parvenir. « Je compte pas passer ma soirée ici, alors t’as intérêt à nous sortir de là rapidement. S’il y en a une de nous deux qui est fautive ici, c’est très certainement toi. »  Dakota serra les dents à s’en faire grincer la mâchoire. Elle allait lui mettre son poing dans la figure, et qu’importe les conséquences. Pourtant, une petite voix en elle lui soufflait que sa voisine n’avait pas tort. “Je t’ai pas dit de la fermer Ella ?!” D’un geste rapide, maîtrisé, elle déroula les bandes qu’elle portait encore aux mains. Graziella n’avait pas la tronche d’une habituée du Pit. Quant à Dakota… Mais les flics se méfiaient rarement d’une nénette de son gabarit, et si sa voisine pouvait lui servir de caution crédibilité… Elle n’allait pas laisser passer sa chance. « Alors, tu proposes quoi ? » La jeune femme ne répondit pas tout de suite, occupée à fouiller la pièce pour y trouver quelque chose à se mettre sur le dos. Bingo, au fond d’un sac de sport quelconque, un marcel blanc un peu grand pour elle. Dans l'immédiat, ça ferait l’affaire. Elle l’enfila vivement, avant de se retourner vers sa voisine. “Graziella, que tu le veuilles ou non - et je ne doute pas une seconde que ça te foute les boules - t’es dans cette galère autant que moi, alors si t’as effectivement l’intention de te sortir de là sans finir au trou, va falloir que t’y mettes un peu du tien.” La jeune femme avait pesé ses mots, habituée à être un peu plus agressive envers sa compagne d’infortune. “Et par acquis de conscience, j’te jure que si t’essayes de me la mettre à l’envers, t’auras pas assez de tous les ratés du Mosh Pit pour te venir en aide.” Dakota soutint le regard de sa voisine avant de recommencer à arpenter la pièce. Maintenant qu’elle avait terminé de se changer, il fallait qu’elles sortent de là. A l’extérieur du Pit, elles pourraient toujours se fondre dans la masse, mais si on les choppait ici… D’un œil méfiant, elle avisa le soupirail qui servait de seule aération pour la pièce, puis jaugea sa voisine. L’ouverture était haute, mais ensemble les deux jeunes femmes avaient de bonnes chances de l’atteindre. Restait à passer au travers… “Tu penses pouvoir passer par-là ?” Dakota se mordit la langue pour réfréner un commentaire désagréable sur la morphologie de Graziella. Dans l’immédiat, elles devaient coopérer, quoi que ça lui en coûte. Heureusement, les deux filles étaient plutôt des petits gabarits...

Concentrée, la jeune femme ne put s’empêcher de faire un bref point sur sa situation. Bloquée dans la cave d’un ring clandestin, l’argent des paris encore en poche, avec pour seule compagnie une bimbo insupportable. Certains de ses choix de vie étaient définitivement à revoir. Mais l’heure n’était ni à l’introspection, ni à la remise en question. Elle devait agir, et vite, avant de se retrouver définitivement dans un trou encore moins accueillant que celui-ci. Dakota éprouvait une aversion certaine pour les services de l’ordre qui ne lui avait jamais apporté que des ennuis - réminiscences de l’époque où elle n’était encore qu’une mineure en fuite. Qui plus est, ses principales rentrées d’argent se faisaient par des moyens moralement douteux, et elle n’avait aucune envie de donner à un juge l’opportunité de remonter jusqu’aux Hounds à travers elle. Pour autant, toute sa bonne volonté ne suffirait pas à les sortir de là : d’autant qu’elle puisse en juger, les flics étaient toujours là, et s’ils se cantonnaient encore à l’extérieur du bâtiment, elle n’avait aucune raison de croire qu’ils n’allaient pas descendre dans la cave d’ici peu. Vraisemblablement, quelqu’un les avait rencardé, et les poulets avaient monté une opération coup de filet d’envergure. Cette simple réalité était de mauvais augure : habituellement, les flics ne se pointaient pas au Pit. Non pas qu’ils n’aient aucune raison de le faire, au contraire ; simplement, Canaryville était pourrie, et la plupart des braves officiers n’étaient pas indifférents au charme des combats clandestins. Le Mosh Pit bénéficiait donc d’une immunité tacite : à moins d’une émeute, combattants et bookmakers étaient tranquilles. Jusqu’à ce soir.

Et Dakota continuait à trouver douteuse la présence de Graziella en ces murs coïncidant précisément  avec une intervention policière. Pour autant, faute de preuves formelles et outre son aversion spontanée pour sa voisine, elles allaient devoir coopérer pour sortir de là sans se faire avoir. La pièce dans laquelle elles se trouvaient ne disposaient que d’une seule issue : la porte les séparant du reste de la cave. D’ici peu, les lieux risquaient d’être envahis par la flicaille, qui, à en juger par les sons qui leur parvenaient, était toujours en train de procéder à des interpellations au niveau des issus du Pit. La seule alternative qui s’offraient à elles pour le moment était une grille d’aération, mais Graziella semblait en avoir décidé autrement. “Alors déjà oui, évidemment que je pourrais passer par là.” Dakota réprima une nouvelle fois tant bien que mal un commentaire acerbe sur le physique de sa voisine. Coopérer, coopérer. Objectif : sortir de là sans se faire avoir. Rien d’autre ne devait compter pour le moment, et elle n’avait pas d’autre choix que de s’allier avec Graziella. “Mais non. Non, non, non, j’entre pas là-dedans. T’as regardé trop de films, tu sais même pas où on arrivera. J’ai déjà entendu une histoire comme ça, et le mec a atterri dans une broyeuse.” Face à cette dernière déclaration, Dakota roula des yeux au ciel en se mordant la langue. Bon sang, le Ciel la mettait à l’épreuve. “Mais vas-y, toi. Et oublie pas d’appeler de l’aide quand tu seras sortie, où que tu sois.”

Un instant, l’idée parut satisfaisante à Dakota. La perspective de laisser sa diva de voisine se débrouiller par elle-même pour se sortir de là était même plus que tentante. Mais outre la certitude qu’Ella ne la laisserait pas s’en sortir si facilement, la jeune femme savait qu’elle avait plus de chance de paraître crédible devant les flics avec Graziella à ses côtés. Avec ses pompes de marque, son maquillage impeccable et son caractère de merde, aucun flic n’oserait insinuer qu’elle faisait partie du public du Mosh Pit. Graziella était sa caution, et elle n’irait nul part sans elle - quand bien même ce serait probablement plus facile. Dakota inspira profondément avant de répliquer, aussi posément que possible. “Graziella. On est dans le sous-sol d’une église miteuse. Pas dans les locaux de la CIA. C’est même pas une conduite de ventilation, juste un tuyau d’aération qui a de bonnes chances de mener vers l’extérieur et non vers une bouche des Enfers.” Pour preuve, la jeune femme se rapprocha du soupirail d’un air décidé, et y plaqua une oreille. Les bruits de l’extérieur lui parvenait bien, étouffé mais néanmoins identifiable. Un flic beuglait ses instructions, et la brune frémit en l’entendant donner l’ordre de descendre dans le sous-sol. Quoi que les filles décident de faire, elles allaient devoir le faire vite. “Alors maintenant deux choix s’offrent à toi : grimper là-dedans, ou attendre qu’on vienne te cueillir comme la parfaite plante en pot que tu interprètes en ce moment.” Dakota se mordit la langue. Garder son calme face à Graziella ne faisait pas partie de ses habitudes, et aller à l’encontre de ces dernières était plus difficile qu’elle ne l’aurait cru. “A moins, bien-sûr, que tu n’ais une meilleure idée à proposer pour nous sortir de là. Auquel cas dépêche-toi, sinon j’y vais sans toi.”

Pressée par le temps, Dakota sentait l'adrénaline s'immiscer dans tout son organisme. La fuite, elle avait ça dans le sang. Par le passé, elle y avait eu recours bien trop souvent. Au fond, aucune des deux filles ne risquaient grand chose à se trouver là - pour peu qu'elle se débarrasse de l'argent des paris qu'elle avait sur elle, Dakota n'avait rien à se reprocher, et Graziella encore moins. Mais à Canaryville, difficile de croire que qui que ce soit puisse être innocent, et les flics ne feraient pas dans le détail. Dakota n'avait aucunement l'intention de leur laisser l'occasion de fouiller sa vie et son passé - elle préférait garder pour elle certains détails de ce dernier. Elle ressentit un soulagement immédiat en comprenant que Graziella était finalement prête à se ranger à son avis : la partie était loin d'être gagnée, mais au moins n'allait-elle pas devoir la faire sortir de force. “Ok, allons mourir dans ce « tuyau d’aération ».” Une nouvelle fois, la jeune femme dut se mordre l'intérieur de la joue pour ne pas lâcher une réplique cinglante à la face de sa voisine. Graziella avait tout de la drama queen, et Dakota avait encore du mal à comprendre comment elle avait pu se retrouver dans cette galère avec elle. Leurs univers respectifs n'étaient pas fait pour cohabiter, clairement. “C’est un sort moins pire que la garde à vue, j’imagine…” Au moins un point sur lequel elles s'accordaient. “Là au moins on est d'accord querida ! Alors grouille-toi.” Dakota avait beau tacher au mieux de conserver un calme apparent, le temps s'écoulait, implacable, tandis qu'elles restaient toujours prisonnières de cette foutue cave. Les flics pouvaient débarquer d'un instant à l'autre, et la jeune femme avait l'intention d'être loin d'eux à ce moment-là. La perspective qu'on la surprenne au moment où elle tenterait de se faufiler dans le tuyau d'aération la faisait frémir d'avance. Là-dedans, aucune possibilité de repli, aucun endroit où se cacher et aucune possibilité de se défendre en cas d'attaque. Graziella était réticente à s'engager dans le conduit, et Dakota l'était sans doute tout autant - pour des raisons différentes.

“Comment on fait ?” Ella s'était finalement approchée du soupirail et le jaugeait d'un œil sceptique. Réprimant son envie de rouler les yeux au ciel, la jeune femme s'approcha à son tour. Le travail leur avait été facilité : la grille en plastique qui protégeait l'entrée du conduit était suffisamment branlante pour pouvoir être ôtée facilement. Restait à espérer qu'il en soit de même de l'autre côté du conduit. “Ok. Tu passes la première, j'te fais la courte-échelle. Dès que t'es dedans, je te rejoins en m'aidant du banc pour monter.” La manœuvre ne s'annonçait pas facile, et la jeune femme espérait sincèrement que tout le temps qu'elle passait à faire des tractions à la salle de boxe allait se révéler utile sur ce coup-là. Alors qu'elle s’apprêtait à se mettre en position pour aider sa partenaire de fortune, Dakota se ravisa pour saisir une serviette éponge délaissée qui traînait dans un coin de la pièce. “Hm, Ella... Ça va être dégueulasse là-dedans, et je sais à quel point tu tiens à tes fringues.” La jeune femme n'était pas dupe, sa voisine trouverait le moyen de se plaindre quoi qu'il en soit, et cette serviette ne pourrait pas éliminer toute la crasse accumulée toutes ces années dans ce conduit - pour autant, si elle pouvait limiter un peu les dégâts, elle pourrait s'estimer heureuse. Sans attendre, elle lui tendit la serviette avant de se remettre en position, prête à hisser sa voisine. “Ok querida, t'es prête ?” Concentrée sur la mise en place de leur plan d'action, Dakota en oubliait presque de lancer des piques à son improbable partenaire.